de Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro (France)
Avec Ron Perlman, Daniel Emilfork, Judith Vittet, Dominique Pinon, Jean-Claude Dreyfus, Geneviève Brunet, Rufus


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Derrière le beau titre de La Cité des Enfants Perdus se cache l’histoire de Krank, un homme vivant parmi d’étranges compagnons sur une plate-forme en mer perdue dans le brouillard, au-delà d’un champ de mines. Fruit d’une expérience génétique, il s’avère incapable de rêver, ce qui a pour effet d’accélérer son vieillissement. Pour venir à bout de ce détestable phénomène, il enlève les enfants d’une cité portuaire afin de voler leurs rêves, grâce à une étrange machine de son invention.

L’univers si étrange créé par Marc Caro et Jean-Pierre Jeunet pour La Cité des Enfants Perdus situé en un lieu et une époque indéterminés, à mi chemin entre Paris et une cité portuaire, entre le début du siècle et un futur à la Jules Verne, n’est pas si éloigné de celui, uchronique, de Delicatessen. Mais ici, l’aspect bande dessinée et la technologie science-fictionnelle ont été amplifiés. Le budget lui aussi a bien gonflé (on l’estime à l’équivalent de 18 millions de dollars), ce qui permet aux cinéastes d’aller jusqu’au bout de leurs visions. «  La cité s’inspirait à la fois des canaux de Venise, de la verticalité architecturale de New-York, des habitations de Londres au début du siècle, de l’amoncellement des maisons orientales, des constructions métalliques de Gustave Eiffel, des gravures de Gustave Doré et des peintures de De Chierico » (1) nous révèle Jean Rabasse, chef décorateur du film.

Servies par une direction artistique absolument irréprochable s’animent des images époustouflantes (quatre clones de Dominique Pinon se donnent des claques, une puce vue en très gros plan saute de corps en corps, l’incroyable cité s’étend dans de vastes panoramas brumeux) grâce à une série d’effets spéciaux numériques et mécaniques de toute beauté, le plus grand nombre jamais utilisé jusqu’alors dans un film français. Attirés par les « gueules » peu ordinaires, Caro et Jeunet ont opté pour un casting des plus étonnants, avec en particulier Ron Perlman (le héros préhistorique de La Guerre du Feu), Daniel Emilfork (le génie de la lampe dans Le Voleur de Bagdad de Clive Donner), François Hadji-Lazaro (Gnahi dans Dellamorte Dellamore), mais aussi Dominique Pinon (dans un rôle septuple, chacun clamant à qui veut l’entendre qu’il est l’original et que les autres ne sont que des clones !) et Jean-Claude Dreyfus, déjà mis à contribution dans Delicatessen.

Cependant, la vraie révélation du film demeure Judith Vittet, très crédible en gamine des rues s’étant endurcie prématurément mais encore très fragile. Son duo avec Ron Perlman évoque un peu celui du Léon de Luc Besson. S’il faut reprocher une chose à cette Cité des Enfants Perdus, c’est la terrible minceur de son scénario (malgré la magnifique idée du vol des rêves d’enfants) et la paradoxale confusion avec laquelle il est structuré. Dommage que la rigueur esthétique et technique du film ne trouve pas son répondant d’un point de vue narratif.
« Pour moi, le maître mot doit toujours être la cohérence, et ce n'était pas vraiment le cas dans La Cité des Enfants Perdus », reconnaît Jeunet. « Nous avons commis l'erreur de choisir l'environnement avant l'histoire. On sent la tiraillerie entre Caro et moi, lui tirant le film vers le visuel et moi vers le narratif. » (2) Malgré tout, le film fit sensation lors de sa présentation en ouverture au Festival de Cannes et se mua en objet de culte auprès des cinéastes américains, ce qui permit à Jean-Pierre Jeunet d’amorcer sa carrière solo quelques années plus tard par l’entremise de la 20th Century Fox avec Alien Résurrection.

(1) Propos recueillis par votre serviteur en mars 1998
(2) Propos recueillis par votre serviteur en septembre 2009

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