(Edward Scissorhands)
de Tim Burton (Etats-Unis)
avec Johnny Depp, Winona Ryder, Dianne Wiest, Anthony Michael Hall, Kathy Baker, Robert Oliveri, Vincent Price, Conchita Ferrell
Plus que n’importe quel autre film de Tim Burton, Edward aux Mains d’Argent prouve que ce cinéaste atypique a décidément
l’âme d’un poète. Il s’agit sans nul doute d’une de ses œuvres les plus personnelles, une sorte de mètre étalon auquel seront inévitablement comparés tous ses films ultérieurs. Edward est un
robot au teint blafard, aux cheveux hérissés et au regard un peu perdu, dont le look n’est pas sans évoquer les membres du groupe Cure. Fruit des travaux d’un inventeur génial reclus dans un
immense château surplombant la ville, il est hélas inachevé. Car si le savant a eu le temps de lui implanter un cœur, il est mort avant de pouvoir le doter de mains imitant celles des humains. Le
pauvre Edward se retrouve ainsi affublé de ciseaux, de couteaux et de toutes sortes d’objets tranchants dont il maîtrise mal le maniement, à tel point qu’il se blesse régulièrement le visage et
se couvre de cicatrices. Orphelin, il reçoit un jour la visite d’une représentante en produits de beauté. A son initiative, il quitte le château de son créateur et vient se frotter aux gens de la
ville.
Tim Burton décline là sa thématique favorite, celle de la difficile intégration des êtres « différents » au sein d’un environnement normalisé. D’où certaines réminiscences des deux Frankenstein de James Whale, films de chevet de Burton auxquels il rendit hommage dans son délectable court métrage
Frankenweenie. Et de toute évidence, le réalisateur s’identifie à son protagoniste, interprété avec beaucoup de justesse par un Johnny Depp quasi-méconnaissable, affublé d’un
étrange accoutrement conçu par Stan Winston. Conscient que l’expressivité de son personnage passe plus par la mimique que par le dialogue, Depp se laisse largement inspirer par les créations de
Charlie Chaplin, dont on ressentira trois ans plus tard l’influence dans son personnage de Benny and Joon. « Quand je l’ai rencontré, j’ai su qu’il collerait parfaitement au
rôle », raconte le cinéaste. « C’est quelque chose que j’ai senti. Dans ces cas-là, vous ne pensez pas au futur, vous ne vous dites pas : “ce sera l’acteur de la plupart de mes autres
films“ ». (1)
Edward aux Mains d’Argent est aussi et surtout un conte de fées, genre qui fascine depuis toujours Burton et que celui-ci transpose dans l’univers des banlieues américaines pour
mieux caricaturer ses contemporains et en dépeindre l’hypocrisie. La naïveté l’emportant toujours sur la satire, le film s’avère foncièrement sincère, bien loin des canons hollywoodiens savamment
établis. Et c’est toujours avec joie que l’on retrouve Vincent Price, dans une série de flash-backs d’autant plus émouvants que l’immense comédien jouait là son dernier rôle à l’écran, trônant au
bau milieu d’un château gothique qu’on croirait échappé des adaptation d’Edgar Poe par Roger Corman. Ce n’est pas un hasard : Tim Burton rendait déjà un fervent hommage à l’acteur et ses
personnages « poesques » dans son tout premier film, le court-métrage d’animation Vincent. Saluons enfin la magnifique partition de Danny Elfman, l’un des plus beaux travaux de
sa prolifique carrière, ici largement inspiré par Tchaïkovsky et notamment la Danse de la Fée Dragée du ballet « Casse Noisettes ».
(1) Propos recueillis par votre serviteur en janvier 2008